Un petit retour vers vous....

3 août 2016

Une nouvelle écrite en mars 2016

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Un repos tant mérité

(Mémoire d'un objet)

Et bien voilà ! Qui aurait pu prévoir cette ignoble fin ! Je n'en reviens pas !!!

A la première heure ce matin, la maisonnée encore endormie, tout le monde a débarqué dans la chambre.... Ils se sont emparés de l'armoire, puis de la petite commode assortie, et d'un coup je me suis senti chahuté, balancé de tous côtés... Ils venaient de me soulever par les pieds, nous avons traversé non sans mal toutes les pièces de la maison, puis ils m'ont jeté dans le camion, sans aucune précaution. Maintenant, me voici au milieu de ce bric-à-brac qui rassemble à une exposition de vieux meubles sans avenir et d'ici peu nous finirons probablement aux encombrants si personne ne prend pitié de nous ! Mais cela ne peut pas se passer comme cela... ! Je me dois de leur expliquer ..moi aussi j'ai une âme !!

"S'il vous plaît, écoutez-moi...! S'il vous plaît, ne me laissez pas là, planté là comme ça, au beau milieu de tous ces débris et à la merçi du premier venu ! Je suis tellement épuisé, tellement usé par toutes ces annés, je voudrais tant dormir.... comprenez-moi, je vous assure, c'est à mon tour maintenant. !"

Cette fois-ci le vendeur surpris et gêné, regarda à l'arrière de son stand, à l'endroit où le matin même il avait déposé tout ce dont il aurait aimé se débarrasser au cours de cette brocante. Son regard se porta sur la vieille chambre d'enfant dont il n'avait plus l'utilité et d'où il lui semblait entendre ma faible voix. Ses gamins avaient bien grandi et les meubles de la chambre de la dernière fillette avaient dû être changés. Voilà pourquoi aujourd'hui je me retrouvais là, moi, le vieux lit de bébé aux barreaux usés, mordillés, à la teinte grisâtre et au matelas déformé... Il était grand temps de lui expliquer ce que je ressentais :

"On se connait bien, toi et moi... il est impossible que tout se termine ici entre nous..., prends le temps de m'écouter, si tu veux bien" :

"Tu sais, ma vie n'a pas été de tout repos, tu en as été le témoin durant toutes ces dernières décénnies. Tu peux me croire, car même si j'ai endormi depuis maintes générations tous les enfants de la famille, il m'a fallu leur résister lorsqu'ils se sont accrochés tour à tour à mes barreaux solidement scellés le temps d'apprendre à se tenir debout ! J'ai essuyé tant de leurs larmes sur mon oreiller lorsqu'ils se mettaient à pleurer des nuits entières n'ayant de cesse de se tortiller en attendant que quelqu'un vienne les consoler. Je les entourais de mes douces couvertures lorsqu'ils se réveillaient effrayés lors de terreurs nocturnes, incapables de se rendormir. Et je ne te raconte là que les moments les plus agréables.., les nuits les plus paisibles."

"Mais, rappelle toi, combien de fois je me suis retrouvé inondé parce que la couche avait débordé !! "
"Et la gastro..... tu te rappelles la gastro !, cette épidémie de maux intestinaux qui revient chaque année... Lorsque l'enfant se vide par le bas, par le haut.... C'est moi qui recueillais tous ces désagréments avant que le petit ne soit levé, lavé, changé, rhabillé, consolé.... l'on s'occupait alors de moi en dernier en arrachant mes draps d'un air fortement dégoûté. "
"Ces nuits là me paraissaient interminables tellement moi-même, je me sentais minable !"

"Alors, pour tout cela, ne pourrais-tu pas m'accorder un peu de repos. J'ai aidé tous tes petits à voyager au loin au-travers de leurs jolis rêves bleus, je les ai bercés, dorlotés, câlinés avec ferveur. Au creux de mon matelas ils se sont lovés tour à tour, et je leur ai offert toute ma châleur. Je leur ai tant donné, les ai tellement aimés, mais maintenant, je ne suis plus tout jeune, et même si la vie m'a comblé, ne penses-tu pas que tu pourrais m'offrir une dernière chance, ou plutôt, une dernière chambre, celle où je trouverai enfin un peu de sérénité..."

Contre toute attente, le bon père de famille se laissa attendrir. Il lui revint en mémoire tous ces instants passés en bord de ce lit devenu fragile, lorsqu'après la lecture de l'histoire du soir, il déposait un dernier baiser sur la joue rose et chaude de l'enfant endormi. Il remontait alors la couverture sous le menton du bébé et s'éloignait à pas de loup en éteignant la lumière. "Bonne nuit, mon Ange, A demain". Il quittait alors la chambre, jetant un dernier regard vers le lit, humant une dernière fois ce parfum d'enfant endormi qu'il aimait tant.

C'est alors que je vis un sourire se dessiner sur son visage et le temps d'un clin d'oeil, il m'éleva au-dessus des autres meubles mais cette fois-ci en prenant mille précautions pour ne plus me chahuter. Arrivés à la maison, l'on me désossa, me décapa, tous mes barreaux furent minutieusement recollés et je fus recouvert d'une jolie peinture blanche toute fraîche. Toutes mes rides avaient disparues. L'on m'offrait une nouvelle jeunesse et d'un coup, toute ma fatigue s'envola.

Et, contre toute attente, on ne me demanda plus de servir de berceau. On m'installa confortablement tout près du radiateur de la chambre de la cadette, et toutes les peluches de la maison me firent une superbe ovation.

Après avoir été ainsi relooké, on me donna le joli rôle de décoration et tous les doudous de la maison se firent un véritable plaisir de venir s'installer au creux de mon vieux matelas retapé pour m' offrir ce repos tant mérité. Je pus ainsi terminer le reste de ma vie à voir grandir "mes tous petits chéris" à qui j'avais ouvert largement mes draps !.

Chantal Piroué
Mars 2016

Posté par Chantal P à 15:18 - Commentaires […] - Permalien [#]